Saint Joseph, Image du père, Éditions grégoriennes, 2015
Jean-François Froger, Jean-Michel Sanchez
(Photographies : Jean-Paul Dumontier)
Recension : Marion Duvauchel
Deux années avant la publication de l'ouvrage sur Marie-Madeleine, l'apôtre des Apôtres, les éditions Grégoriennes avaient fait paraître, par les mêmes auteurs et sur le même patron, un livre consacré à une autre figure suréminente : saint Joseph. Le sous-titre, « Image du Père », imprimé en creux sur la page de couverture, est un signal qui renvoie, selon toute vraisemblance, à l'ombre lumineuse dans laquelle la figure de Joseph s'est vue tenue pendant la longue histoire cultuelle de l'Église. Voilà donc un beau livre à la fois dense et élégant qui devrait contribuer à corriger la représentation bien erronée de l'aimable santon sulpicien figurant une paternité un peu débonnaire drapée dans une exemplaire discrétion.
L'ouvrage se déploie en deux chapitres d'une exceptionnelle densité et concision, suivis d'une sorte de petite Ennéade : neuf textes brefs en forme d'inventaire structuré (une petite « somme ») de l'essentiel de ce que l'on connait de saint Joseph : à travers les évangiles apocryphes ; à travers la doctrine théologique sur sa personne ; ce qui le préfigure dans l'Ancien Testament ; à la lumière de son culte, de ses lieux de dévotion, de ses apparitions, plus rares que celles de la Vierge Marie. Autant de petits chapitres où se voit rassemblée une information qui permet au lecteur de mieux se représenter le poids progressif que saint Joseph a pris dans la prière de l'Église et dans son histoire cultuelle ; ce qu'il doit aux grands saints ou au Carmel dans le passage du culte privé au culte public comme l'importance exceptionnelle que l'Espagne lui a accordée. Après avoir pénétré largement la vie dévotionnelle, saint Joseph entre dans les méditations des théologiens, dans leurs discussions aux subtilités parfois rabbiniques mais aussi dans l'art. C'est dans ce domaine que Jean-Michel Sanchez excelle : une iconographie commentée d'une grande beauté… Les passionnés de l'histoire de la piété trouveront par ailleurs les prières, offices et invocations, fort belles et aussi précieuses pour la prière personnelle ou collective que pour la culture religieuse, comme ils apprécieront le passage approprié de la lettre encyclique Quamquam pluries de Léon XIII.
En 1889, c'est fait, l'Église est placée nommément et formellement sous le patronage de saint Joseph. On a le droit de penser qu'elle en a mis du temps…
Saint Joseph, image du Père ? C'est le propos des deux premiers chapitres de la plume de Jean-François Froger. Il y faut un peu de patience car pour mettre en lumière ce pur modèle de parfaite humilité, autrement dit, de révéler autant que faire se peut la gloire propre du père de Jésus et de l'époux de Marie, il faut concilier la métaphysique, la théologie et la connaissance de la Révélation.
De la paternité divine à la paternité humaine, le chapitre inaugural, ne se contente pas de poser « les problèmes que soulèvent la révélation évangélique et la doctrine de l'Église à propos de la paternité de Joseph ». Il fournit aussi des clés pour comprendre le récit de la Création de l'Homme, « dans sa plénitude métaphysique exprimée dans les justes rituels des hommes et des sociétés ».
On est prévenu d'emblée : on ne va pas de la paternité humaine à la paternité de Dieu : « pour comprendre la paternité humaine, il faut prendre notre modèle de compréhension en Dieu et non pas dans notre expérience ». Il faut regarder ce que nous dit la Révélation qui vient corriger (si nous le voulons bien, mais que cela est difficile !) nos représentations humaines. Or, si l'expérience ne permet pas d'atteindre à une juste idée de la paternité divine, il faut bien partir de cette expérience, individuelle ou collective, et laisser la Révélation l'éclairer d'une lumière nouvelle et la rectifier… C'est la démarche que suit l'auteur en examinant plusieurs points essentiels, à commencer par la question de la relation familiale. Il n'y a de père que lorsqu'une femme met au monde un enfant et que cet enfant est celui d'un homme, de préférence son époux. Et il n'y a de père que s'il y a un homme, « un fils de ». Cela semble évident : ces fondements naturels sont pourtant aujourd'hui bien ébranlés pour ne pas dire rejetés.
La marque distinctive de l'humain, les fondements de la nature humaine, ce sont deux capacités : celle « d'instituer une relation de droit » et « la capacité à une parole créatrice prononcée par les époux ». Les bêtes ne se marient pas… « Un homme ne peut naître que comme le fruit d'un contrat de parole, ritualisée selon la Loi divine révélée depuis la Chute. » Le contrat de mariage n'est pas d'abord un modèle juridique, mais une institution humaine qui sort l'homme de l'animalité, ou qui figure son humanité. « Toutes les populations n'accèdent pas à cette qualité du contrat humain, la polygamie ou la polyandrie, le divorce et l'adultère ou l'absence de parole viennent contredire cette institution. » On mesure à ces lignes la violence inouïe et silencieuse qui frappe les populations encore sous le joug de ces principes d'iniquités.
La « chair unique » que l'époux et l'épouse sont destinés à former est une unicité qui révèle la nature humaine à travers le lien légal du masculin et du féminin (qui est en quelque sorte condition de cette unicité). Parce que Joseph et Marie vont mettre au monde l'Homme parfait, dans une humanité régénérée, il est juste de dire que saint Joseph est « le ministre de notre salut ». Quoique non charnelle, sa paternité n'est pas une suppléance. Il montre la paternité humaine véritable à travers toutes les étapes connues (en particulier dans les Évangiles de l'enfance) de cette vie consacrée. Résignant son « moi » humain, Joseph n'a pas revendiqué la paternité de Jésus mais il a tenu son rôle de « rabbi », assumant tous les rôles de la paternité humaine. Et parce que cette paternité est parfaite, nous pouvons recevoir par saint Joseph un enseignement sur la paternité humaine. Et par là, comprendre la paternité divine que Jésus montre en même temps que ce Père qui est « la Vie » et qui donne en son fils et par son Fils, la « vie incorruptible ».
L'analyse de ce chapitre inaugural se répercute dans le suivant qui aborde plusieurs points connus : la question de la généalogie de Jésus, de son sens ; la justesse de la conduite de Joseph lorsqu'il découvre l'adultère présumé de la femme qui lui est dévolue et la miséricorde extraordinaire que cette conduite révèle ; sa capacité à recevoir l'information divine et son obéissance aux ordres reçus en songe ; enfin ce que, en tant que père légal de l'enfant, il lui communique : sa lignée… Par Marie, mais aussi par saint Joseph, Jésus appartient charnellement à la lignée royale de David.
Ces deux chapitres d'une concision à saluer mériteraient cependant de plus longs développements que bien sûr les lecteurs audacieux pourront trouver dans Le Livre de la Création et dans Le Livre de la Nature humaine, du même auteur (dans la même édition).
Néanmoins, on se plaît à rêver et à espérer un petit ouvrage, qui serait aujourd'hui salutaire, spécialement consacré à ce mystère insondable qu'est la paternité humaine et à une plus juste appréciation de ce qu'est saint Joseph et par conséquent « qui » il est : l'essentielle médiation pour comprendre qui est et ce qu'est « Notre Père ».
Un tel ouvrage jetterait sans aucun doute une lumière implacable sur la vraie nature des chemins choisis par les sociétés occidentales en matière de morale sexuelle, dévoyant le contrat fondamental qui garantit l'unicité humaine, sa visibilité et sa foncière intelligibilité. Et par conséquent son inaltérable beauté.