Les vices de la parole

De la parole de pouvoir au pouvoir de la parole

Il s’agit, dans cet ouvrage, de cerner l’histoire des formes de comportement verbal jugées « anormales » en notre culture depuis la Renaissance. Quelles sont ces formes « anormales » ? Nous reconnaîtrons volontiers sous cette rubrique générale les pathologies du langage, du bégaiement au déficit de l’aphasique. Mais nous constatons bientôt, en examinant le discours sur les formes linguistiques anormales, qu’il y a d’autres phénomènes linguistiques qui pèchent contre la norme : je veux dire les patois, le langage ouvrier, l’argot, les expressions triviales, etc. Il y a donc un type de comportement verbal qu’on peut définir comme déviant, mais qui comprend des phénomènes hétérogènes. Ce champ de phénomènes linguistiques s’érige en contrepartie à « la langue cultivée », cette idéalisation et idéologisation de la langue nationale comme lieu de toutes les excellences, de toutes les beautés, de tous les raffinements, comme expression de la plus haute culture nationale. Le livre passe en revue une succession de ces idéologies linguistiques qui ont justifié la normalisation du comportement verbal des populations et la répression concomitante des déviances. Est-ce faire la chronique d’un stade de la pensée et de l’organisation sociale que nous avons définitivement dépassé? Le discours officiel et semi-officiel d’aujourd’hui dans plusieurs pays (même en France, dans une certaine mesure) sur les « droits linguistiques », sur le « multiculturalisme » et le « patrimoine linguistique » le laisserait croire. Mais notre étude arrivera au point où nous pourrons constater que, dans notre société contemporaine qui se voudrait « post-idéologique » et « pluraliste », la dichotomie de la norme et de la déviance en matière de langage n’a rien perdu de sa force, hélas! et nous assistons au développement de nouveaux mécanismes, plus raffinés bien sûr que ceux d’antan, pour exclure les voix discordantes du marché discursif public, et pour les réduire à un silence qui ne nous persuade que trop facilement qu’au fond, ces voix discordantes n’existent pas.

This book seeks to define the history of forms of speech that have been judged as abnormal in our culture since the Renaissance.  What are these abnormal ways of speaking? We willingly recognize language pathologies from stuttering to aphasic deficiency as belonging to this general section.  But soon, as we examine the views on abnormal linguistic forms, we notice there are other linguistic phenomena that lean away from the norm: dialect, shop talk, slang, everyday expressions, etc.
There is therefore a verbal behavior type that can be defined as deviant, but which includes varied phenomena. This field of linguistic phenomena develops as a counter part to "cultivated language," this idealization and ideologization of the national language as a place of all excellence, all beauty, all refinement, and as an expression of the highest level of national culture.  
The book reviews a succession of linguistic ideologies that have justified the normalization of speech behavior in populations and the concomitant repression of deviants.  Is this an account of a certain stage in the evolution of thought and social organization that we have definitively passed?  The official and semi-official views in several countries (even somewhat in France) on "linguistic rights," "multi-culturalism," and "linguistic patrimony" would let us so believe.
But our study will arrive at a point where we will notice that, in our modern society, which wants to be "post-ideological" and "pluralistic," the dichotomy of the norm and the deviant, as far as language goes, has lost none of its strength, alas!  We are witnessing the development of new, more refined mechanisms than those of times past, to exclude conflicting voices of the public speech market; and to silence these voices so as to make us think that they don't exist.

Il s’agit, dans cet ouvrage, de cerner l’histoire des formes de comportement verbal jugées « anormales » en notre culture depuis la Renaissance. Quelles sont ces formes « anormales » ? Nous reconnaîtrons volontiers sous cette rubrique générale les pathologies du langage, du bégaiement au déficit de l’aphasique. Mais nous constatons bientôt, en examinant le discours sur les formes linguistiques anormales, qu’il y a d’autres phénomènes linguistiques qui pèchent contre la norme : je veux dire les patois, le langage ouvrier, l’argot, les expressions triviales, etc. Il y a donc un type de comportement verbal qu’on peut définir comme déviant, mais qui comprend des phénomènes hétérogènes. Ce champ de phénomènes linguistiques s’érige en contrepartie à « la langue cultivée », cette idéalisation et idéologisation de la langue nationale comme lieu de toutes les excellences, de toutes les beautés, de tous les raffinements, comme expression de la plus haute culture nationale. Le livre passe en revue une succession de ces idéologies linguistiques qui ont justifié la normalisation du comportement verbal des populations et la répression concomitante des déviances. Est-ce faire la chronique d’un stade de la pensée et de l’organisation sociale que nous avons définitivement dépassé? Le discours officiel et semi-officiel d’aujourd’hui dans plusieurs pays (même en France, dans une certaine mesure) sur les « droits linguistiques », sur le « multiculturalisme » et le « patrimoine linguistique » le laisserait croire. Mais notre étude arrivera au point où nous pourrons constater que, dans notre société contemporaine qui se voudrait « post-idéologique » et « pluraliste », la dichotomie de la norme et de la déviance en matière de langage n’a rien perdu de sa force, hélas! et nous assistons au développement de nouveaux mécanismes, plus raffinés bien sûr que ceux d’antan, pour exclure les voix discordantes du marché discursif public, et pour les réduire à un silence qui ne nous persuade que trop facilement qu’au fond, ces voix discordantes n’existent pas.

Introduction
Première partie : EUPHONIE
1. L’éloquence du gentilhomme
2. L’esprit et la lettre
3. Vitia linguæ
4. Le coeur et le cerveau
Deuxième partie : ORTHOÉPIE
1. Matres lectionis
2. Surdus loquens
3. Dei donum
4. La leçon de phonétique
5. Mensonge et éloquence
6. La phonétique au siècle des Lumières
7. L’organisation nerveuse de la parole
8. Les origines imparfaites
9. Le régime de l’orthoépie
10. Épilogue : être Autre

Troisième partie : ORTHOPHONIE
1. La Révolution et la notion d’une langue officielle
2. Linguistique et phonétique au XIXe siècle
3. La clinicalisation de la parole
4. L’instruction publique et la rééducation
5. La parole anormale au XXe siècle
6. Dire et pouvoir
Notes